justice

Pauvre Justice ! Ce slogan était inscrit sur des tee-shirt du SAF portés à la convention nationale de Nantes pour accueillir le Ministre de la justice de l’époque Monsieur MERCIER ( si vous ne vous souvenez plus qui c’était, suivez ce lien, ICI).

Pauvre Justice ! c’est ce que j’ai pensé toute cette semaine particulière en allant plaider mes dossiers.

Les clients, justiciables qui nous confient leurs dossiers, une tranche de leur vie n’ont que cette affaire, leur affaire, ne bénéficient que d’un court moment pour pouvoir être écoutés, pour pouvoir éventuellement être entendus.

Ce moment, c’est le moment de la plaidoirie de leur avocat, ce moment où le justiciable boit les paroles de son conseil et rejette celles du conseil de son adversaire.

Ce seul moment pendant lequel, le justiciable sera confronté à son juge, à ses juges.

Il est unique: le client ne verra qu’une fois le juge ou les juges.

Moment magique ?

Hélas très souvent, ce qui devrait être la rencontre de la justice avec le citoyen est gâché, gâché par l’absence de temps de nos juges, l’absence de patience, l’absence de retenue de certains face à leurs sentiments d’ennui, de fatigue qui peuvent les envahir.

Dans un souci de pure rentabilité, nos magistrats sont contraints d’audiencer plusieurs dossiers dans une matinée ou dans l’après-midi.

Ils précisent bien que ces dossiers devront être évoqués par les avocats par « observations » quelque soit la difficulté de l’affaire, temps de parole devant certaines juridictions où la procédure est orale: 10 minutes chacun.

A peine, l’avocat commence à plaider, certains magistrats, aux deux premiers mots expliquant le problème juridique invite l’avocat à en venir aux faits alors qu’il convient d’abord d’expliquer brièvement le droit.

Ils coupent la parole à tout va sans aucun respect pour le justiciable que les avocats représentent.

Les mimiques peuvent être nombreuses pendant ces courtes minutes: certains grimacent, lèvent les yeux au ciel, soupirent, regardent les parties et leurs avocats avec leur stylo dans la bouche, feuillettent les pages d’un autre dossier, discutent avec leur voisin de gauche puis avec leur voisin de droite, rigolent…

Lorsque l’avocat s’arrête pour être écouté, les yeux du Président ou de la Présidente sont alors remplis d’une interrogation « mais continuez Maître, continuez » et l’envie ne manque pas à l’avocat de dire « et vous arrêtez, cessez vos mimiques, cessez de parler et écoutez et écoutez, les juges, vous êtes payés pour cela « .

A la fin des plaidoiries, lorsque le justiciable a le malheur de vouloir prendre la parole pour donner des précisions, rares sont les juges qui le laissent s’exprimer, nombreux sont ceux qui l’invitent à se taire, « oui on a compris Madame,votre avocat a tout dit, on étudiera avec soins votre dossier », en bref  « taisez -vous, votre avocat a parlé, j’ai encore quinze dossiers à écouter ce matin, si tout le monde faisait comme vous, on ne s’en sortirait pas »

Pauvre Justice ! elle n’est pas aveugle, elle est juste pauvre dans tous les sens du terme: pauvre matériellement, par manque de moyens humains mais aussi pauvre humainement pour certains de ses représentants qui ont oublié qu’ils ne jugeaient pas que des dossiers.

Des hommes et des femmes existent, sont jugés au travers de ces dossiers et attendent beaucoup de cette audience qui arrive enfin après plusieurs mois voir plusieurs années de procédure.

Quelle déception pour le citoyen, le justiciable, le client de l’avocat lorsqu’il assiste parfois à ce triste spectacle, à cette comédie judiciaire digne d’un très mauvais court métrage !

L’incompréhension est encore plus grande lorsque le jour du délibéré, le justiciable prend contact avec son avocat et demande fébrilement à ce dernier: « Alors, Maître c’est quoi le verdict ? « .

Il est étonné de la réponse de son avocat qui l’informe que ce verdict, que le compte rendu, que le jugement est repoussé.

« Repoussé ,mais Maître, le Président a dit que c’était aujourd’hui » et les avocats sont nombreux à répondre: « Je sais Monsieur, je vous l’avais dit, les décisions sont que très rarement rendues à la date indiquée, il y avait un grand risque qu’il y ait du retard ».

A réception de la décision, parfois, c’est aussi l’incompréhension, pas seulement parce que le dossier est perdu ou à moitié gagné mais surtout par le manque de motivation et d’explications pour certaines décisions.

Clairement, il arrive de plus en plus souvent que la qualité de la justice rendue laisse à désirer.

La rentabilité est une notion qui semblerait être incompatible avec cette qualité.

Pauvre Justice qui n’a plus les moyens de prendre le temps de juger, le temps de bien juger.

Pauvre justice qui ne respecte pas la date donnée pour rendre justice.

Pauvres personnes jugées par cette pauvre justice !