J’ai écrit un billet sur la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’acquisition des congés payés durant les arrêts maladies en intitulant mon article dans Actu Juridique : « Les congés payés acquis durant les arrêts maladies, une révolution vraiment ? ».
En effet, la Cour de cassation n’a fait qu’appliquer le droit d’Union européenne.
La France a été alertée depuis des années par la Cour de cassation dans ces différents rapports et notamment dans un rapport de 2013, elle a été alertée sur le fait qu’il était nécessaire de légiférer et de se mettre en conformité avec le droit de l’union européenne, au risque d’engager la responsabilité de l’Etat.
Ces arrêts ne tombent pas comme un couperet, cela pendait au nez de toutes les entreprises et la plupart d’entre elles le savaient.
Les arrêts de la Cour de cassation ont été rendus le 13 septembre 2023 et permettent aujourd’hui à des salariés en arrêt maladie d’acquérir des congés payés durant cet arrêt, ce qui n’était pas possible avant puisque le code du travail prévoit qu’il faut travailler pour pouvoir acquérir des congés, il est fait mention de travail effectif.
La directive européenne de 2003 ne prévoit pas une telle condition, tout salarié peut acquérir des congés qu’il travaille ou qu’il soit en arrêt de travail.
Ce qui dérange les entreprises et la plupart des syndicats d’employeurs c’est que cette disposition est rétroactive.
La prescription n’a pas débuté.
En effet le point de départ du délai de prescription a été fixé par la Cour de cassation au jour où l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer son droit à congé payé acquis durant l’arrêt maladie.
Or aucun employeur, à mon avis, n’a permis aux salariés d’exercer ce droit puisqu’il n’était pas inscrit dans le code du travail.
Aussi, des congés acquis pendant des arrêts travail de 2017 peuvent être sollicités par les salariés, il n’y a pas de prescription de leur action et de leur demande.
Par ailleurs, il n’y a pas non plus de limites dans les demandes relatives aux congés payés, cela signifie que le salarié pourrait demander plus de trois ans de congés payés.
La réponse à la question jurisprudentielle qui a été posée à la CJUE le 9 novembre 2023 n’impose aucune limite contrairement à ce que prétendent certains commentateurs militants, elle ne fait que renvoyer aux états membres et à la France, c’est à elle de légiférer !
Elle précise qu’une limitation dans l’acquisition des congés, à savoir des reports n’est pas contraire à la directive de 2003 et donne pour exemple 15 mois, tout simplement parce qu’ il était question d’une telle limitation dans le dossier qui lui était soumis.
En aucun cas, elle n’a imposé cette limitation de 15 mois à la France, elle ne le peut pas de toute manière.
Les entreprises et certains syndicats notamment le syndicat de la CPME prétendent, sans communiquer aucune étude statistique sérieuse, que la mise en œuvre de ces dispositions entraînerait un coût évalué à des milliards d’euros pour les petites et moyennes entreprises.
D’où sortent ces statistiques ?
On l’ignore, elles sont, à mon avis, données au doigt mouillé.
D’ailleurs, il est étonnant que la presse n’enquête pas sur cette question et sur l’origine de ce chiffre.
La plupart des journalistes ne font que relayer les propos de ce syndicat sans vérifier la source et la réalité de ce prétendu coût évalué à des milliards d’euros.
Sur cette question relative aux conséquences financières de ces décisions de la Cour de cassation, il faut à mon sens garder raison.
– Il faut rappeler que chaque salarié acquiert 2,5 jours de congés payés par mois.
Ainsi un salarié qui est en arrêt maladie durant un an donc 12 mois acquiert un mois de congés payés:
* Si un employeur doit appliquer à ce salarié qui travaille encore dans l’entreprise un mois de congé payé à son retour d’arrêt maladie, ce n’est pas la mort surtout que le salarié a bien pu « tomber malade » après avoir liquidé ses congés payés.
Ces congés ne se rajouteront pas forcément à d’autres congés payés non pris.
Le risque pour l’employeur c’est d’avoir un salarié qui reviendrait travailler, qui peut poser des congés payés acquis pendant les arrêts maladies et qui pourra donc prendre des congés payés dans l’année de son retour.
Il pourra être plus efficace que le salarié qui reprend et doit acquérir des congés payés durant une année, qui est sur les genoux et peu productif.
– Pour le salarié qui n’est plus en poste, les enjeux financiers ne sont pas si grands, il faut que le salarié soit un cadre et arrêté pour maladie pendant très longtemps.
*Prenons deux exemples :
1- un salariée non cadre arrêté pour maladie durant un an qui bénéficie d’un salaire de 1300 € net par mois, si son contrat est rompu, il pourra agir en justice et solliciter une indemnité de congés payés (de l’argent) équivalente à 2,5 jours par mois soit dans notre cas une indemnité équivalente à 108 € par mois soit pour un an à 1296 € au total.
Pensez-vous qu’un salarié saisira le conseil de prud’hommes pour une indemnité d’un montant de 1296 € net après une rupture de contrat qui date par exemple de 2017 ?
Beaucoup de salariés veulent tourner la page et ne pas s’embêter avec des démarches administratives pour 1296 € (avec nos honoraires, l’opération pourrait être nulle).
2- Prenons un cadre, salarié qui perçoit des revenus de 6000 €, il est arrêté durant un an, son indemnité de congés payées est plus importante, et d’un montant de 6000 €, il sera beaucoup plus intéressant pour ce cadre d’agir en justice.
Combien de cadres ont été arrêtés pendant un an, deux ans ou trois ans ?
On ne le sait pas, et en ne peut pas se fier aux chiffres donnés par la CPME puisqu’on ne connaît pas l’origine de ces derniers.
Y aura-t-il un raz-de-marée de recours devant le conseil de prud’hommes à la suite de ces décisions de la Cour de cassation ?
– Pour les salariés en poste, ces recours me semblent délicats.
Certains salariés tenteront sans aucun doute de solliciter des congés acquis pendant leur arrêt maladie.
Si cette acquisition leur est refusée, beaucoup ne saisiront pas le conseil de prud’hommes.
D’autres n’oseront même pas demander, peut-être parce qu’ils auront peur de mettre une mauvaise ambiance au sein de leur petite entreprise et sans doute auront-ils peur de se faire mal voir et d’être sanctionnés.
Les employeurs connaissent leurs salariés et savent très bien que la plupart d’entre eux ne réclameront pas.
Ils n’appliqueront pas la rétroactivité et adopteront la politique de l’autruche sur ces congés acquis avant les arrêts de la Cour de cassation.
Il serait en revanche judicieux qu’ils s’appliquent la jurisprudence pour les congés payés acquis durant les arrêts maladies à partir de septembre 2023.
– Pour les salariés qui ont quitté l’entreprise par une démission, rupture conventionnelle, un licenciement, ces derniers réfléchiront avant d’agir au coût et aux avantages de telles actions. Si c’est pour récupérer 200 €, gageons que ces salariés n’agiront pas en justice.
Alors qui saisira le conseil de prud’hommes ?
– Les salariés qui ont déjà un dossier en cours ne manqueront pas d’ajouter une demande supplémentaire ou ressaisiront le conseil de prud’hommes sur cette question.
– Les salariés cadres qui bénéficient de revenus importants saisiront peut-être s’ils étaient en longue maladie et s’ils n’ont pas transigé sur la rupture avec l’ancien employeur, car en effet, les salariés cadres ont pu transiger et si tel est le cas, ils ont signé un document dans lequel ils s’engagent à ne plus rien revendiquer, aucune somme ne découlant de leur contrat de travail. Ils ne pourront pas revendiquer les congés payés acquis pendant l’arrêt travail dans l’entreprise avec laquelle ils ont signé cette transaction.
En conclusion : il faut dédramatiser.
Le coût pour les entreprises d’appliquer le droit de l’Union européenne ne correspondra pas à des milliards d’euros comme veut le faire croire le syndicat CPME qui fait du lobbying avec une belle malhonnêteté intellectuelle.
Malheureusement, cette jurisprudence de la Cour de cassation qui ne fait qu’appliquer le droit de l’Union européenne embête certaines entreprises, celles qui estiment que durant un arrêt maladie on se repose, qui considèrent en effet que ce n’est pas un arrêt maladie mais un congé maladie, celles qui se disent: « c’est bon, Jean-Philippe a été arrêté pendant un an pour son cancer, il ne va pas , en plus, repartir en congés, il faut qu’il bosse maintenant Jean-Phi ».
Droopy
18 novembre 2023 — 19:56
Maître,
Je ne suis pas d’accord avec votre procès à charge contre la CPME.
Je suis dans la paye depuis plus de 30 ans et votre argutie démontre une méconnaissance profonde du monde de l’entreprise notamment dans certains secteurs.
En effet, dans le nettoyage d’immeuble, de bureau, des métros, trains et avions, dans le gardiennage, dans l’aide à domicile, la dératisation, le bâtiment… les longues absences maladie sont légions. Ce type d’entreprise si seulement 10 salariés même sur 150 : c’est le dépôt de bilan…
Quand à vos calculs des congés payés : il est faux et démontre votre méconnaissance.
Certes un salarié acquiert 30 jours par an. Si le salarié est au smic soit 1727,20 € par mois (et non 1300 €), cela donne 20814.73 € pour an (plus en réalité car le smic augmente au moins une fois par an…).
Les congés c’est 10% des 20814.73 soit 2081.47 € pour 30 jours ( et non pas 1727,20 € si l’on suit votre raisonnement). Chaque jour de CP c’est 69.38 €. Pour 2.5 jours acquis par mois nous arrivons a 173.46 €…
Dans les écritures du gouvernement au niveau européen, il est dit que la prescription du code du travail est sur 3 ans donc 6244,41 €. Cela vaut le coût pour un smicard que d’aller chercher plus de 4860€ net. Je ne pense pas que vos honoraires seront si important
Des cadres arrêtés plusieurs année, c’est plus rare mais j’ai plusieurs cas notamment des pathologies lourdes comme le cancer…
Je vous autorise à reprendre mon exemple pour votre article
Michèle Bauer
19 novembre 2023 — 11:07
Madame,
– ce n’est pas à un procès à charge contre ce syndicat, c’est une réflexion sur ses affirmations qui m’apparaissent se fonder sur aucune étude sérieuse
– si vous avez 30 ans d’expérience dans la paie, j’en ai 20 dans le domaine du droit et dans l’exercice de ma profession devant les juridictions, je connais bien les justiciables et les salariés. Je les conseille quotidiennement sur l’opportunité de saisir la justice. En matière de congés payés acquis pendant les arrêts maladie je pense en effet que peu saisiront le juge car cela n’en vaut pas forcément la chandelle.
-merci pour votre exemple que je ne reprendrai pas dans mon article car vous n’avez hélas pas compris ce qu’est le prescription. Pour percevoir 3 ans de congés payés, il faut être malade durant 3 ans. Par ailleurs, vous présentez des chiffres en bruts, or ce qui intéresse le salarié c’est le net, ce qu’il va percevoir, aussi votre raisonnement est FAUX. En tout état de cause, là n’est pas la question, la question est de savoir si le justiciable saisira, ce qui n’est pas certain surtout pour ceux encore en poste et pour ceux aussi qui ont été arrêtés peu de temps
-les dossiers coûteux sont ceux des cadres arrêtés longtemps, or vous le dites vous même, ils sont peu nombreux, le terme exact que vous utilisez est rare.
-vous faites mention des absences « comme légion » dans les travaux difficiles de ménage notamment. Oui, ils sont légions, est-ce que vous vous êtes vous interrogée afin de savoir pourquoi ? Les employeurs ont-ils essayé de trouver une solution en améliorant les conditions de travail de ces travailleurs précaires pour éviter cet absentéisme ? Par ailleurs, dans ce secteur des salariés précaires, hélas, les salariés ont peu d’informations juridiques et accèdent difficilement au droit, ce ne sont pas ces derniers qui, majoritairement, iront revendiquer leurs droits devant le conseil de prud’hommes.
Pour conclure, je le répète, il est inutile de dramatiser. Les employeurs ont pu largement faire des économies ces dernières années et l’acquisition de congés payés durant les arrêts de travail ne les mènera pas à leur perte ou à la faillite:
– les barèmes d’indemnisation « macron » leur ont permis de licencier à bas coût
-la diminution des délais de prescription afin d’agir en justice (pour un licenciement on est passé de 5 à 1 ans pour agir, pour les salaires de 5 à 3 etc…) leur ont permis d’éviter certaines procédure ou de faire en sorte que d’autres soient déclarées prescrites par le conseil de prud’hommes.
-la facilitation des licenciements pour motif économique leur a permis de faire des économies
– la rupture conventionnelle qui a permis de sécuriser les ruptures leur a évité des procédures en justice
et j’en passe, sans compter les aides diverses et variées versées aux entreprises: aides pour l’emploi des apprentis, coup de pouce fiscaux, aides durant le COVID.
Alors non, Madame, je ne partage pas votre avis et maintiens que cette jurisprudence n’aura pas pour conséquences des faillites ou encore de faire payer des milliards au entreprise. Ce chiffre est sorti du chapeau, ce n’est pas sérieux.
Et n’oublions pas que les employeurs pourront engager la responsabilité de l’Etat pour ne pas s’être mis en conformité avec le droit de l’Union.
Je vous autorise à réfléchir sur ma réponse et à changer d’avis.
Cordialement
Michèle BAUER.