Article publié sur Actu-Juridique le 19 Mai 2025.

« Si les droits de la défense et la liberté de parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du procès pénal, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sauraient légitimer des propos outranciers ou humiliant portant atteinte à la dignité des personnes ou visant à les intimider. En l’espèce, il résulte des débats que les parties civiles ont été confrontées à une défense des plus offensive fondée sur l’utilisation répétée de propos visant à les heurter et qui n’était manifestement pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense. (…). Ce dénigrement objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire ouvrant droit à réparation, renforce leur préjudice initial et doit en conséquence faire l’objet d’une indemnisation spécifique. »

(Extrait du résumé du Délibéré dans l’affaire de Gérard Depardieu communiqué à la presse)

Le jugement n’est pas encore connu dans son intégralité. Toutefois, cet extrait de la motivation qui a amené à la condamnation de Gérard Depardieu pour « victimisation secondaire » et pour les propos tenus par son conseil, mon confrère Jérémie Assous, interroge.

Les débats ont été d’une grande violence et les propos sexistes du conseil de la star déchue, tenus à l’égard de ses consœurs, rapportés dans la presse, mais aussi dans le résumé du délibéré, sont inacceptables.

Je fais partie des signataires de la Tribune du Monde dénonçant ce comportement sexiste et l’absence de réaction du Président du Tribunal Correctionnel dans le cadre de la police de l’audience, ainsi que le silence de nos institutions*.

J’ai été choquée par le comportement sexiste de notre confrère à l’égard de mes consœurs, tout comme je suis surprise et inquiète de cette motivation qui me semble dangereuse en ce qu’elle nous renvoie plus de 50 ans en arrière, au temps du délit d’audience.

En 1972, le serment de l’avocat était le suivant : « Je jure comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des Tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique ».

Il existait donc une restriction à la liberté d’expression des avocats.

Peut-on condamner le client pour le comportement de son avocat ? 

Un délit d’audience existait. Il était inscrit dans le décret du 9 juin 1972, article 108 : les fautes et manquements à l’audience par un avocat pouvaient être réprimés, séance tenante, par la juridiction qui disposait de sanctions telles que l’avertissement, le blâme, la suspension qui ne pouvait pas excéder trois années, ainsi qu’une radiation du tableau des avocats.

Ces délits d’audience étaient notamment réprimés dans le cadre de la défense des avocats devant les tribunaux des forces armées qui étaient chargés de connaître des infractions liées, par exemple, à la désertion, dès lors que les plaidoiries étaient orientées contre l’État.

La condamnation des propos tenus par mon confrère dans cette affaire m’a immédiatement fait penser au délit d’audience. Par son comportement dans le cadre de sa défense qualifiée d’offensive par le tribunal correctionnel, il aurait donc commis une sorte de délit d’audience.

Alors que dans les années 70, c’est l’avocat qui était sanctionné pour ce délit, car il existait un texte, dans l’affaire Depardieu, c’est le client qui est sanctionné à raison du comportement de son avocat par une condamnation plutôt dérisoire (1000 euros de dommages et intérêts).

Cela pose bien entendu une difficulté, celle de la responsabilité civile qui est définie à l’article 2 du Code de procédure pénale et qui est une responsabilité personnelle : seul le comportement de Gérard Depardieu peut être sanctionné par la juridiction.

On me répondra que la stratégie de défense a été décidée avec le client qui a approuvé cette violence dans les propos de mon confrère, sans doute est-ce le cas.

Toutefois, je suis juriste et non chroniqueuse sur les plateaux TV : condamner à des dommages et intérêts un client pour le comportement de son avocat n’est pas rigoureux juridiquement et cela est même contraire à la loi.

Une application discutable de la victimisation secondaire

Par ailleurs, il a été jugé que le préjudice était lié à une victimisation secondaire.

La victimisation secondaire peut être définie comme un préjudice complémentaire dont souffrent les victimes de violences sexuelles ou sexistes du fait de leur traitement par les juridictions.

Cette victimisation secondaire tient son origine de la convention d’Istanbul du 11 mai 2011, les États signataires (dont la France) se sont engagés par cette convention à prendre des mesures visant à l’éviter.

La CEDH a condamné la France, par un arrêt du 24 avril 2025 pour ne pas avoir respecté l’article 14 de la convention et avoir exposé une des requérantes à une victimisation secondaire.

C’est l’Etat qui a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour le traitement déplorable de la justice du dossier de cette victime. La Cour relève ainsi « les défaillances des autorités nationales relatives tant au manque de diligence et de célérité de la procédure qu’aux modalités  d’évaluation de la réalité de son consentement ont non seulement privé la requérante d’une protection appropriée mais l’ont aussi exposée à subir une victimisation secondaire caractérisant également une discrimination. »

Ce préjudice de victimisation secondaire a été, me semble-t-il, utilisé à mauvais escient par le Tribunal correctionnel.

En effet, ce préjudice est essentiellement lié au traitement institutionnel, à la violence systémique de la justice et non aux propos des avocats lors d’un procès pénal, propos sexistes tenus en outre principalement à l’égard de ses Consœurs.

Ce qui est particulièrement surprenant dans cette motivation, c’est que le Tribunal correctionnel déplore la longueur de l’audience alors que c’est lui-même qui a décidé d’allonger les débats !

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