Rendre hommage à notre confrère Henri Leclerc peut se synthétiser en un mot: conviction.

Il était un homme à convictions.

Pour cela, il était admiré, voire aimé, de beaucoup d’entre nous.

Il avait depuis 1973 abandonné toute approche partisane politicienne pour concentrer ses combats sur ce qu’il estimait essentiel.

Laissons-lui la parole au discours du centième anniversaire de la Ligue des Droits de l’Homme :

ils sont toujours là, nos vieux adversaires. Nous les connaissons bien. Ils s’appellent l’arbitraire qui menace les libertés, l’intolérance qui détruit la fraternité, le racisme qui nie l’égalité, l’individualisme qui tue le citoyen. Elle est toujours présente la misère, cette insulte à la dignité. Et devant nous, dressés, tous les pouvoirs dont on abuse.”

Il était aussi homme de conviction.

L’esprit toujours en mouvement, avec une grande modestie, il restait fidèle aux valeurs de la profession telles que le respect de l’autre, le principe du contradictoire, les droits de la défense, présomption d’innocence…il faisait l’admiration de tous.

Convaincre par la parole, s’adresser au-delà du droit, qu’il connaissait et maîtrisait parfaitement, à ses partenaires de justice (particulièrement les juges) en sollicitant leur part d’humanité, invoquer tout autant l’équité, telle était sa ligne de défense.

Il était chaleureux dans les rapports confraternels ; traitant de manière égale et avec déférence l’élève avocat, le jeune avocat comme le plus ancien, le plus connu comme le plus obscur.

Il n’était jamais avare de conseils, mettant son expérience et ses connaissances au profit de tous.

Sa réflexion n’avait de sens que si elle était suivie de l’action, collective de préférence.

Cette disposition de l’esprit l’amenait à prendre en compte une part d’utopie qu’il incorporait à la réalité ; affirmant ainsi une modernité progressiste dans un contexte de conservatisme ambiant.

Pour preuve deux exemples :

  • Le Cabinet d’Ornano implanté à la Goutte d’Or à Paris en 1973, véritable coopérative d’avocats se partageant orientations, clientèle, et honoraires de manière égalitaire. Y était même pratiquée la consultation ouverte à tous et au tarif de la visite médicale d’alors.
  • Ou encore son engagement à la même époque au MAJ (Mouvement d’Action Judiciaire) . Ce collectif pluridisciplinaire réunissait dans la réflexion et l’action des professionnels du droit (avocats, juges, inspecteurs et médecins du travail, assistants sociaux, éducateurs et même quelques policiers) dans l’objectif de “révolutionner” le droit et l’institution judiciaire.

Henri Leclerc ralliera le SAF dès sa création en 1974 pour ne jamais le quitter. Il en sera un indispensable membre par la richesse de ses réflexions et le partage de son expérience.

Ces mêmes qualités feront de lui un acteur désigné par le Ministère de la Justice dans différentes commissions, telle la plus connue et qui fera date, relative aux politiques criminelles : la commission Delmas Marty.

Pour le grand public, Henri Leclerc restera surtout le grand pénaliste, engagé dans de nombreux procès politiques, sociaux, sociétaux: l’avocats de militants durant la guerre d’Algérie, durant le mouvement de Mai 68 et des années qui suivirent; l’avocat de Robert Badinter contre Faurisson négationniste des camps d’extermination. L’avocat de Roman, un accusé qu’il fera acquitter, après avoir subi physiquement l‘agression d’une foule haineuse ; et bien d’autres procès encore…

Mais ce serait sans compter ses 25 premières années consacrées avec la même fougue à la défense du pot de terre contre le pot de fer auprès des étrangers, des mineurs, des étudiants, des paysans-travailleurs ; des discriminés de tous ordres…

Henri Leclerc était aussi pétri d’une immense culture pluridisciplinaire acquise par un travail incessant, hors du commun, qu’il s’imposait, curieux de tout et amoureux de la vie.

Raymond BLET

Cet hommage a été lu lors du Conseil de l’Ordre du Barreau de Bordeaux, le 10 septembre 2024.