« Les mots doux, lis les mots doux, maman »
« D ‘accord, mon ange : « Lola se lève ce matin, pleins de mots doux qui gonflent ses joues… »
Quelle heure est-il ? j’espère que cette histoire lui suffira, je dois conclure ce dossier qui était prévu pour une mise en état en mars, la cliente doit un solde d’honoraires…
« Maman , encore les mots doux… »
« Elle voulait dire les mots doux à sa maman mais elle était pressée »
« Maman, oublié page »
Zut, ça s’est vu, c’est qu’elle suit…
21h « Bonne nuit ma chérie, fait de beaux rêves, à demain »
« Laisse porte ouverte et lumière ouverte »
Toujours le même rituel, les mêmes phrases qui ont finies par me rassurer dans cette période anxiogène du confinement.
Ma journée de travail commence à 21h05.
J’aimerais avoir cette chance de certains et de certaines de pouvoir me consacrer à la lecture de la Montagne Magique de Thomas Mann ou à Belle du Seigneur que j’avais abandonné à 50 pages de la fin, il y a deux décennies.
J’aimerais aussi pouvoir regarder des séries, un paquet de chips dans une main et la télécommande de l’autre.
J’aimerais pouvoir me permettre de vivre ce confinement légèrement sans penser aux lendemains qui chanteront sans doute pour les avocats, je ne doute pas que les divorces se multiplieront, les séparations, les contentieux en droit des contrats et en droit du travail également.
En attendant ces jours meilleurs, 21H05 toujours le même rituel, je prends mon dictaphone et dicte les instructions à mon assistante dont le temps de travail a été réduit, elle a été placée en activité partielle comme beaucoup de salariés de cabinets d’avocats, fermeture des tribunaux et des cabinets obligent.
La première dictée porte tout le temps sur un point comptabilité, puis un point mails rapide, alors que nous en recevions vingt à cinquante par jours, ils ne sont plus qu’un ou deux de sérieux.
Certains mails sont clairement mal ciblés et finissent directement dans la corbeille : offre de création de site internet par exemple ou référencement.
Heureusement, les mails des entreprises guerrières qui continuent malgré le Covid et mettent tout en œuvre pour nous servir ont disparu de la circulation, sans doute que la continuité n’était qu’un simple élément de langage de communicant.
Les autres dictées sont le plus souvent des réponses aux clients qui s’inquiètent sur les droits de visite durant le covid19, la pension alimentaire ou d’anciens clients qui m’interrogent sur leurs droits face à un employeur qui souhaite leur imposer plus de congés payés que prévus dans le décret publié durant l’Etat d’Urgence sanitaire.
23h30 « Maman, caliiiins »
Poussée dentaire durant la crise sanitaire, cette question n’est traitée par aucun spécialiste, cela peut être une problématique récurrente durant plusieurs jours.
00H05, reprise des dictées, un petit tour sur les réseaux sociaux et sur les groupes d’avocats où l’on peut lire le pire comme le meilleur.
Le pire est toujours pour moi la critique incessante de nos institutions qui ne feraient rien alors que les Confrères sont condamnés à mort avec cette crise sanitaire précédée de la grève, qu’ils agoniseront dans quelques jours, la facture de cotisation du CNB dans une main et le prélèvement de la CNBF dans l’autre.
Le meilleur, c’est une certaine confraternité et des petites formations délivrées gratuitement en facebook live par des confrères sérieux et passionnés par leur métier.
J’ouvre d’ailleurs un replay d’une formation sur la sécurité informatique mais me rends compte que je ne pourrai pas le visionner.
Je retourne à mes dictées, prépare leurs envois et adresse un troisième mail au service technique du site « activité partielle », mon compte est bloqué, je ne peux y accéder, le site activité partielle est en surmenage…
Je rédige un mail à mon Banquier pour connaître les documents nécessaires pour le prêt garanti par l’Etat, il faut prendre les devants pour ne pas finir à terre, piétiné par le méchant CNB et la fourbe CNBF tous les deux ricanants sournoisement, heureux de ma déchéance.
Les conclusions ce sera pour demain, il est tard.
01H00, Morphée m’attend, il est toujours au rendez-vous, j’ai un bon sommeil, cela ne change pas.
07H30 « Maman…habillé »
08h30 : « On joue à doudou parle »
9H00 : Petit déjeuner, petit tour sur les groupes WhatsApp à l’origine, des groupes mis en place pour communiquer durant la grève, qui sont recyclés en groupe de solidarité durant la crise. Un petit tour sur Twitter.
Pleurs… « Tombée moi », un bisou, un câlin et ça repart pour une course rieuse dans la maison, sur la terrasse et le jardin ensoleillé.
10h00 petit tour sur la plateforme vidéos que j’ai crée et je note les projets de vidéos que j’ambitionne, ils sont nombreux, je sais que l’ambition est grande et qu’il existe une réalité, le temps n’est pas extensible pour une avocate confinée avec une enfant de deux ans et demi.
La matinée passe vite : appel de mon assistante, appel des amis, appel de la famille, parfois appel d’un client prévenu que l’appel est effectué en présence d’une collègue de travail un peu spéciale.
13h30 « Lis pas de câlins »
Le Hérisson qui se demande pourquoi moi j’ai jamais de câlins, en ce moment pour la justice ce serait plutôt mais pourquoi les juges, les greffiers, les avocats, ne sont pas chouchoutés par la garde des sceaux, pourquoi nous, on a pas de masques pour pouvoir assurer la continuité de la justice ?
Je prends connaissance sur Twitter que le CNB a réussi à obtenir les IJ pour garde d’enfants.
Je ne les demanderai pas, je travaille tant bien que mal. Je me dis que ça devrait satisfaire les plus insatisfaits ou insatisfaites même si je ne doute pas que la question d’après sera quand est-ce que l’on percevra les IJ, que fait le CNB ?
14h00 Visio avec les membres du bureau du SAF Bordeaux, on fait un zoom sur l’état de des juridictions bordelaises, le principe de la continuité de la justice, les difficultés financières que nous rencontrons. Cela fait du bien de voir les amis du syndicat même si c’est en visio avec les bugs habituels (déconnexion, plus de son, tout le monde qui parle en même temps).
15h30 « C’est qui…maman »
Fin de la sieste, et un petit épisode de « Chip et Patate », au diable Boris Cyrulnik.
« Bon je pense que la réunion est terminée, je vais essayer d’adresser une newsletter du confinement aux confrères sympathisants »
L’air de Chip et Patate ne me quitte pas, dans le bain, le repas du soir…
Mes nouveaux amis sont une petite chienne et son doudou souris.
« Applaudir les malades maman »
« oui on va applaudir tous ces malades mon cœur ».
Je souris et retourne au chevet de la Justice.