En 2010, j’avais déjà publié un billet intitulé : « Facebook: le meilleur ami de l’employeur ».
Les réseaux sociaux étaient moins utilisés qu’aujourd’hui, tout le monde ou presque s’inscrivait sur Facebook. Twitter entrait dans la danse, Instagram venait de naître.
Cet article est devenu vintage sauf pour les règles juridiques que j’expose qui demeurent les mêmes.
Je l’avais publié à la suite d’un licenciement signifié à des salariés qui ont critiqué leur employeur sur Facebook, employeur qui a eu accès à ces critiques en se rendant sur leur mur qu’ils n’avaient pas suffisamment sécurisé. Le Conseil de Prud’hommes n’avait pas pu se départager.
Quand est-ce qu’ un salarié porte atteinte à l’image de l’entreprise ? Telle est l’une des questions qu’il convient de se poser à la suite de cette affaire qui fait le buzz (badbuzz) sur les réseaux sociaux:
Après avoir regardé cette vidéo, vous devez vous dire: Ok, ces personnes se moquant clairement de la communauté africaine sont bêtes pour ne pas dire plus, certains d’entre vous penseront même que ce sont des racistes très bêtes, d’autres condamneront plus fermement cette mise en scène et estimeront cette scène injurieuse.
Quel rapport avec mes propos et l’image d’une entreprise ?
A la suite de cette diffusion sur le compte Instagram de ces piètres acteurs, la machine para-judiciaire des réseaux sociaux s’est mise en route. Les commentaires, les RT, les indignations sont apparues: des racistes, une honte… et la Société « Le Slip Français » a été mentionnée car c’est cette Société qui emploie ces « instagrameurs ».
Cet employeur a réagit au quart de tour en publiant un communiqué:
Dans ce communiqué, l’entreprise indique « c’est pourquoi nous avons décidé de sanctionner fermement les deux salariés concernés ».
On ignore la sanction qui a été décidée. Je ne pense pas que ce soit un licenciement. Je rappelle que le Code du travail exige un entretien préalable à cette sanction grave durant lequel le salarié doit pouvoir s’expliquer sur les griefs qui justifieraient un licenciement.
La décision ne doit pas être prise au moment de cet entretien. Or, annoncer dans un communiqué qu’une sanction est décidée est contraire aux droits de la défense des salariés. Cela signifierait que la décision a été prise sans même entendre les salariés.
Peut-être qu’un avertissement a été adressé aux salariés, seule sanction qui n’exige pas un entretien préalable.
Comme vous le savez même si des règles doivent être respectées en matière de licenciement, l’employeur peut bien décider de licencier en prenant le risque d’un prud’hommes puisque la décision de licencier n’est pas soumise à une autorisation préalable, elle devra être contestée a posteriori.
En tout état de cause, peu importe la sanction qui a été ordonnée, la question est de savoir: un employeur peut-il sanctionner un salarié pour des faits qui ont eu lieu dans le cadre de sa vie privée et que le salarié a volontairement publié sur les réseaux sociaux ? S’il lui est possible de sanctionner un comportement d’ordre privé, quelles sont les conditions exigées pour que cette sanction soit légitime ?
Quelques rappels (que j’avais déjà précisé dans mon billet de 2010)
Le salarié bénéficie d’un droit fondamental selon l’article 9 du code civil, il a droit au respect de sa vie privée et de ses correspondances privées.
Cependant, ce principe connaît des exceptions : lorsque les propos d’un salarié causent un trouble manifeste à l’entreprise et lorsque la correspondance n’est plus privée, car elle est diffusée.
Deux droits doivent être appréciés et comparés : celui du salarié qui a le droit de s’exprimer et celui de l’employeur qui a le droit de sanctionner à la condition de démontrer un trouble manifeste au sein de l’entreprise.
La jurisprudence sur les licenciements ordonnés à cause (ou grâce tout dépend de quel côté on se place) aux réseaux sociaux est de plus en plus fournie.
Le raisonnement doit être effectué en deux temps:
-tout d’abord, est-ce que le contenu servant à licencier et publié sur un réseau social est confidentiel ou public ?
Il semblerait que les juges du fond considèrent que seuls les faits ayant un caractère public pourraient faire l’objet de sanctions disciplinaires.
Aussi, il convient d’être extrêmement prudent dans le paramétrage de ses comptes sur les réseaux sociaux et également pour le cas qui nous intéresse être extrêmement prudent sur le contenu de ses publications publiques.
Un paramétrage est possible pour rendre totalement confidentielles ses publications que ce soit sur Facebook, Twitter ou Instagram.
Les arrêts sont nombreux, on peut citer, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 juin 2015 n ° 12/04896 qui a considéré que le salarié qui n’a pas utilisé les paramètres de confidentialité offert par le site ne pouvait pas revendiquer d’atteinte à sa vie privée, l’employeur ayant la possibilité d’utiliser les informations glanées sur un réseau social.
Dans l’affaire du « Slip Français », les salariés en question n’ont pas été très prudents et ont publié cette vidéo sans sécuriser leur compte.
Leur publication n’est pas passée inaperçue, les twittos notamment ont dénoncé le contenu de cette vidéo en identifiant les protagonistes comme salariés de l’entreprise « Le Slip Français » et jugeant leur comportement tel un Tribunal, le Tribunal médiatique.
Sur ce premier point, l’entreprise peut se baser sur cette vidéo publique pour sanctionner ces salariés.
-Puis, le deuxième temps du raisonnement est de transposer la jurisprudence classique de la Cour de cassation sur la question largement débattue du licenciement du salarié pour des faits relevant de sa vie privée.
Les libertés fondamentales doivent être respectées et l’article L1121-1 du Code du travail doit s’appliquer: toute restriction à une liberté doit être proportionnée au but recherché.
Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé qu’un fait de la vie personnelle peut entraîner un licenciement ou une sanction lorsqu’il cause « un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » ( notamment: Cass. soc., 25 janv. 2006, n° 04-44.918).
Qu’est qu’un trouble caractérisé au sein de l’entreprise ?
On peut citer entre autre: les atteintes à la sécurité, le manquement à la loyauté ou les atteintes à l’image de marque ou à la réputation de l’entreprise.
Dans cette affaire, l’employeur sous-entend une atteinte à son image de marque ou à sa réputation.
Est-ce que cette vidéo suffit à caractériser un trouble caractérisé au sein de l’entreprise?
La Cour de cassation a considéré par exemple qu’est justifié, le licenciement d’un salarié d’une entreprise de gardiennage surpris en flagrant délit de vol, dans un supermarché. Une telle entreprise doit veiller à avoir une image d’une entreprise employant des salariés ayant une probité irréprochable (Cass. soc., 20 nov. 1991, n° 89-44.60).
Dans un autre domaine celui de l’immobilier, le licenciement d’une secrétaire est justifié, elle se présentait à son poste en survêtement. (Cass. soc., 6 nov. 2001, n° 99-43.988).
Il s’agira donc de déterminer si les salariés du « Slip français » du fait de la diffusion de cette vidéo ont porté atteinte à l’image de l’entreprise.
Le communiqué se réfère à un attachement à des valeurs aux antipodes du racisme.
Le Slip Français n’est pas une entreprise de tendance… Elle n’est pas une association qui lutte contre le racisme.
Au sein de nombreuses entreprises travaillent très certainement des salariés racistes ou homophobes ou ayant des opinions politiques extrêmes.
Pour autant, est-ce que ces salariés causent un trouble caractérisé lorsque dans leur vie privée, dans des dîners en ville ou en famille, ils tiennent des propos racistes, font des blagues sur les arabes, les juifs ou les belges ?
Les dîners en ville ou en famille restent dans la sphère privée (quoique, nous avons eu un cas d’un Ministre qui a dû démissionner à cause d’un homard dégusté lors d’un dîner privé devenu public par la voie des réseaux sociaux).
Les salariés du Slip Français en postant cette vidéo sur Instagram n’ont pas dû mesurer l’ampleur et la force destructrice des réseaux sociaux.
J’invite d’ailleurs les salariés à être extrêmement prudents et de tourner 7 fois leur doigt autour du clavier avant de cliquer sur publier.