Article mis à jour après la publication du décret du 17 avril 2023 et les Questions/Réponses du Ministère du Travail sur cette présomption.
Une étude de la DARES (Direction de l’animation, de la recherche, des études et de la statistiques) a été publiée le 22 février 2023.
Elle révèle que 70 % des licenciements pour faute grave auraient pour motif un abandon de poste.
On ignore si parmi ces 70 %, l’abandon de poste a réellement désorganisé l’entreprise, ou si cet abandon de poste est un abandon de poste négocié comme parfois lorsque la rupture conventionnelle n’est pas souhaitée par certaines entreprises pour des raisons de coût et que le salarié est démotivé et souhaite réellement partir mais avec ses allocations.
Cette étude ne nous dit pas non plus combien de salariés qui ont été licenciés pour abandon de poste ont été indemnisés par le chômage. On sait seulement que 37% des salariés ayant abandonné leur poste auraient retrouvé un emploi dans les 3 mois.
Cette étude est incomplète et a été effectué comme un sondage, 2000 entreprises ont été interrogées, elle tombe cependant à point nommé et vient légitimer la présomption de démission inventée par Monsieur Jean-Louis THERIOT, député LR qui a présenté un amendement sur cette question dans le cadre de l’examen de la loi portant mesures d’urgence relative au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
Il aurait constaté « sur le terrain » avant même que ces statistiques soient publiées, un mécontentement de certains employeurs qui en auraient assez des abandons de poste de salariés qui désorganiseraient très fortement leurs sociétés.
Aussi, afin d’éviter les abandons de poste, ce député a proposé cet amendement qui introduit une présomption de démission afin de dissuader les salariés d’abandonner leur poste puisque la démission ne donne pas droit aux indemnités chômage.
Nul ne doute que cet amendement est plus « politique » dans le sens politicien du terme que juridique, il s’agit de plaire à une partie des électeurs qui considèrent que les chômeurs seraient des profiteurs en oubliant une autre étude de la DARES d’octobre 2022 ( Quantifier le non‐recours à l’assurance chômage) qui nous apprend qu’ entre 25 % et 42 % des salariés éligibles ne recourent pas à l’assurance chômage
Cet amendement a fait l’objet de nombreuses critiques que ce soit du côté des avocats côté salariés ou encore des avocats côté employeurs mais aussi de la doctrine, un professeur de droit Lucas Bento de Carvalho a publié un article dans la semaine sociale Lamy (No 2018, 24 octobre 2022) : « Démission sur un coup de texte » qui souligne la contradiction de l’amendement avec les textes internationaux notamment.
Malgré toutes ces critiques, l’amendement a été voté et la loi portant mesures d’urgence relative au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été publiée le 21 décembre 2022,.
Un décret a été publié le 17 avril 2023, il pose de nouvelles questions juridiques. De plus des questions/réponses du Ministère du Travail, nouveau droit souples entre en contradiction avec le décret.
Cette aberration juridique qu’est la présomption de démission a intégré le code du travail malgré toutes les réticences du monde juridique.
L’article L 1237-1-1 du code du travail est désormais rédigé ainsi : Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
« Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
« Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article. ».
En effet, la présomption de démission n’existait pas jusqu’à cette loi validée par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait érigé un principe : « la démission ne se présume pas ».
Le terme démission pour l’abandon de poste est un terme impropre puisque le salarié qui abandonnera son poste est en absence injustifiée, on ignore s’il avait la volonté ou pas de démissionner.
Il peut avoir simplement oublié de justifier son absence.
L’employeur pourra licencier pour abandon de poste après avoir mis en demeure le salarié de regagner son poste dans un délai que l’on ignore encore puisque le décret sur cette question n’a pas encore été publié.
Le motif abandon de poste sur l’attestation Pôle Emploi du salarié ne permettra pas à ce dernier de bénéficier de ses allocations.
Toutefois, que se passera-t-il si un employeur licencie pour absences injustifiées et non pas abandon de poste, le salarié pourra-t-il faire valoir ses droits au chômage ?
L’insécurité juridique vient surtout de la nature de la présomption de démission, c’est une présomption simple, elle peut être renversée par la preuve contraire et le salarié pourra agir devant le Conseil de Prud’hommes pour se faire.
Prenons un exemple, un salarié est hospitalisé à la suite d’un accident de voiture, il ne peut pas prévenir son employeur qu’il est dans l’incapacité de venir travailler, puisqu’il est dans le coma.
Finalement un ou deux mois après, il sort du coma, il appelle son employeur qui lui indique qu’il a été licencié pour abandon de poste.
Son abandon de poste est une présomption de démission, il ne pourra pas percevoir le chômage.
Ce salarié malheureux contestera alors cette rupture de son contrat de travail, il renversera la présomption de démission en produisant son bulletin d’hospitalisation en expliquant pourquoi il n’a pas pu regagner son poste.
L’employeur sera condamné.
On peut s’interroger, pourra-t-il solliciter que son licenciement soit considéré comme un licenciement nul ; le licenciement ayant été prononcé alors qu’il était absent pour des raisons de santé, est-il discriminatoire ?
Cette hypothèse peut-être une hypothèse à la marge et exagérée, je le conçois.
Toutefois, il suffit simplement que le salarié n’ait pas justifié de son absence ou qu’il en ait justifié et que l’employeur ne l’ait pas reçu (un mail perdu dans les spams par exemple).
Un salarié peut contester son licenciement dans ce cas en indiquant qu’il souhaite réintégrer son poste car il a la preuve qu’un recommandé a été envoyé, n’a pas été réceptionné par l’employeur ou encore que la lettre s’est perdue ou que le mail justifiant son absence a été envoyé. Il obtiendra gain de cause et sera réintégré.
Par ailleurs, le salarié pourra argumenter en affirmant qu’il n’avait pas l’intention démissionner, l’employeur vivra donc avec une épée de Damoclès sur la tête pendant toute la durée de la prescription.
Une insécurité juridique est présente dans ce texte pour les employeurs qui n’ont pas accueilli cette réforme par des applaudissements, ils sont restés silencieux.
Pour finir, l’abandon de poste était souvent le dernier recours pour les salariés en souffrance au travail qui ne voulaient pas démissionner.
C’était également une possibilité pour l’employeur et le salarié de se quitter en y trouvant chacun son compte : le salarié pouvait bénéficier des allocations pôle emploi et l’employeur ne payait pas l’indemnité de licenciement ni l’indemnité de préavis.
Avec cette présomption de démission ne donnant pas droit au chômage, gageons que les arrêts maladie se multiplieront et qu’une prochaine étude de la DARES constatera l’augmentation des licenciements pour inaptitude.
L’employeur et le salarié seront perdants : l’employeur devra l’indemnité de licenciement et devra gérer les absences du salarié malade. Le salarié quant à lui aura perdu sa santé, il sera plus difficile pour lui de retrouver un emploi.
Les relations de travail seront beaucoup plus tendues, les salariés qui voudront à tout prix être licenciés pourraient avoir l’idée d’injurier leur employeur pour obtenir le « graal » (l’attestation Pôle emploi) avec un licenciement pour faute grave.
En conclusion, ce texte a été adopté pour séduire une certaine partie de la population qui stigmatise les chômeurs alors qu’on parle de la Grande démission et de la France du plein emploi.
C’est un texte qui en pratique sera une usine à gaz si les salariés saisissent le conseils de prud’hommes qui ne pourra d’ailleurs jamais statuer dans le délai d’un mois comme il est indiqué. Les Conseils de Prud’hommes sont à l’agonie comme toutes les juridictions, le manque de moyens ne permettra pas la rapidité. Le salarié sera dans la plus grande précarité dans l’attente d’une décision du Conseil de Prud’hommes qui se fera attendre. Pendant le temps de la procédure, le salarié sera sans indemnités puisque sans attestation Pôle emploi lui donnant droit au chômage.
En plus d’être juridiquement aberrant, ce texte est inutile et manque réellement de rigueur.
Gageons que les avocats qui sont dotés d’une très grande imagination conseilleront leurs clients différemment pour pouvoir partir de l’entreprise et obtenir leurs allocations pôle emploi ou pour pouvoir remercier un salarié sans indemnités en lui permettant de bénéficier du Pôle emploi.
Le décret publié le 17 avril 2023 n’est guère réjouissant. Il donne le nombre de jours dont bénéficie le salarié pour regagner son poste: 15 jours, au moins une certitude. Pour le reste, il pose questions: Ce décret laisse le choix à l’employeur de mettre en œuvre ou non la présomption de démission puisqu’il introduit un article R. 1237-13 dans le code du travail qui dispose: « L’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission (…) » Par conséquent, cela signifie que l’employeur a le choix, il peut ou pas faire valoir la présomption de démission, ce n’est pas une obligation légale. Or, il semblerait que ce soit une obligation pour le Ministère du travail qui a publié ses Questions/Réponses, ses préconisations, son droit souple semblerait introduire une obligation: 1. L’employeur est-il obligé d’envoyer une mise en demeure si son salarié est en abandon de poste ? C’est à en perdre la tête, est-ce que l’employeur garde son droit de licencier pour faute grave et pour abandon de poste sans mettre en œuvre la procédure de présomption de démission ? Pour le décret: oui, Pour les questions/réponses: non. Qui a raison et comment conseiller nos clients employeurs ? Les questions/ réponses sont publiées et pourraient être opposées en justice. Cependant, il apparaît comme évident que des questions/réponses ne peuvent aller à l’encontre de la liberté d’entreprendre et de gérer son entreprise par l’employeur, elles ne peuvent interdire l’employeur de licencier. Il garde à mon sens son droit de licencier pour faute grave. Il gagne aussi un autre droit qui peut intéresser les employeurs peu scrupuleux, celui de menacer le salarié qui refusera une négociation de départ avec abandon de poste et absence de mise en œuvre de la présomption de démission. L’employeur pourrait conditionner la non mise en œuvre de la présomption de démission à une absence de réclamation du salariés de ses primes ou heures supplémentaires. « Dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l’employeur d’un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission, tel que, notamment, des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait prévu à l’article L. 4131-1, l’exercice du droit de grève prévu à l’article L. 2511-1, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, le salarié indique le motif qu’il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée. » Le salarié qui entend se prévaloir d’un motif légitime (dont la liste n’est pas limitative) invoque ce motif dans la réponse de la mise en demeure. Or, il n’y a pas d’obligation, toutefois, on peut douter puisque le présent est utilisé avec indique le motif qu’il invoque. S’il ne l’indique pas en réponse, est-ce qu’il pourra toujours l’invoquer devant le Conseil de Prud’hommes ? Finalement, ce développement du motif légitime ne revient- il pas pour le salarié à faire une prise d’acte de la rupture de son contrat ? Sur cette question, les Q/R du Ministère du Travail : gréviste au sens de l’article L. 2511-1 du code du travail, lorsque le salarié est absent parce qu’il refuse d’exécuter une instruction contraire à une réglementation, ou lorsqu’une modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur est refusée par le salarié. Or, encore une fois les Questions/Réponses s’immiscent dans la gestion de l’entreprise en indiquant que le procédure de présomption de démission ne doit pas être conduite à son terme… Si le motif n’apparaît pas légitime alors qu’il figure dans la liste des motifs du décret, et si c’est un motif qui n’y figure pas (avec le notamment il peut y en avoir d’autres) ? Le décret est taisant et à mon sens, le seul moyen offert au salarié une fois que cette procédure est mise en œuvre et qu’il bénéficie d’un motif légitime, c’est de saisir le Conseil de Prud’hommes soit pour demander sa réintégration, soit pour demander que le Conseil de Prud’hommes considère que c’est un licenciement. |
La première publication de ce texte et sa première version l’a été sur les échos judiciaires girondins.
Comments by Michèle Bauer
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