C’est la rentrée aussi pour les avocats et en ouvrant ses mails, l’avocat découvre que beaucoup de confrères lui ont écrit , l’occasion d’un petit billet d’humeur de rentrée.
C’est la rentrée, les vacances, les vraies sont terminées, j’arrive motivée au cabinet après avoir fait une petite marche sur les quais. Le soleil commence à briller, les oiseaux chantent, la vie est belle.
Un grosse chemise m’attend sur mon bureau, ma secrétaire qui est encore en congés m’a déposé un dossier d’une belle couleur verte contenant les mails, les retours de la fameuse case palais (toque pour les parisiens), des jugements correctionnels qui datent et qui sont enfin retranscrits ainsi que des dossiers de plaidoiries, l’été le greffe vide les placards. La majorité des mails ont été traités, beaucoup de « pour info », je me dis « quelle perle ».
J’allume mon ordinateur, quelques mails, quelques-uns de clients, beaucoup de confrères :
- Le 20 août : OFFICIELLE : Mon Cher Confrère, Je vous rappelle être le conseil de la Société Impatiente, je suis toujours dans l’attente de vos conclusions pour le 15 octobre, merci de mes les adresser afin que je puisse être en l’état pour l’audience. (Précision, l’audience est une audience de mise en état demandeur( moi )et je dois conclure pour cette date mais ce n’est pas un délai pour le défendeur)
- Le 22 août : OFFICIELLE Ma Chère Consœur, je reviens vers vous à la suite du droit de visite exercé par votre client. Le petit Adrien est revenu sans ses chaussettes jaunes et pas coiffé et à 18h02 au lieu de 18h. Pourriez-vous intervenir auprès de Monsieur Négligeant avant de lui rappeler le jugement qui a précisé des horaires A RESPECTER »
- Le 23 août : OFFICIELLE Ma Chère Consœur, je vous rappelle le jugement du 30 juillet, votre client a été condamné à une indemnité au titre de l’article 700, merci de m’adresser un chèque sous quinzaine sinon j’exécute !
- Le 25 août : Mon Cher Confrère, êtes-vous toujours le conseil de Madame, je n’ai pas eu le plaisir de lire vos écritures pour l’audience du 9 novembre ? Pouvez-vous me les adresser ? »
D’autres lettres de la même teneur se succèdent et me permettent d’affiner mon « classement » des Confrères pénibles en tracances, ou de retour de vacances ou éternellement au boulot:
-il y a le confrère « suiviste », qui vous suit, un follower, un peu comme sur les réseaux sociaux, il vous suit mais pas silencieusement, non il commente, sans cesse tout au long de la procédure qui vous oppose à lui : au début de la procédure après vous avoir communiqué l’assignation en divorce et connaissant votre intervention, deux jours après l’avoir enrôlée : « vous vous constituez, vous intervenez encore pour Madame », après vous avoir communiqué les pièces alors que le juge n’a pas fixé de date « vous avez conclu, vous comptez conclure » . Ce Confrère est comme une alerte de votre agenda, qui déraille, vous prévient trop tôt et comme les alarmes, il y a des jours où l’on rêve de les balancer par terre, un geste libérateur. Ne pensez pas que j’ai des envies de meurtre à l’égard des suiveurs, certainement pas, je ressens beaucoup d’admiration pour eux, cette dépense d’énergie à rappeler à ses Confrères des dates qu’ils ont noté dans leur agenda est aussi louable qu’inutile.
-il y a les confrères « facturateurs », ceux qui ont hâte de nous lire, qui souhaitent la communication rapide des conclusions dans le dossier car ils sont amoureux du droit, leur passion : lire nos écritures sur le licenciement de Madame Michu pour avoir mangé du chewing gum pendant son travail.. Evidemment la passion de l’argumentation n’est pas la seule explication de cet empressement de dévorer notre prose de travailliste … Une autre passion les habite, celle de mettre le chronomètre et de calculer le temps passé pour la rédaction de conclusions responsives aux nôtres. L’été, le chronomètre est également en vacances. Ces Confrères passent alors très vite dans le groupe des suiveurs, il faut rappeler au Confrère de conclure pour que je puisse « facturer » enfin non répliquer. Ces Confrères inspirent le plus souvent une douce indifférence involontaire, le mail se perd dans les dizaines de mails des retours de vacances. L’intitulé urgent peut interpeller et très vite l’inquiétude s’estompe quand il s’avère que le délai pour la réplique est encore très long.
-il y a les confrères « facteurs ou intermédiaires » qui passent les messages de leurs clients, des parents la plupart du temps, on peut aussi les nommer, les confrères « 3 dodos chez papa et deux chez maman ». Ils sont reconnaissables à leur style inimitable, ils emploient dans leurs conclusions allégrement les termes papa et maman alors que le code civil ne connait que le père et la mère ou parent ou parente. Ils sont les messagers des parents luttant contre les culottes sales et les chaussettes trouées. Leur lettre a cette particularité d’être toujours improprement OFFICIELLE et moralisatrice nous demandant d’intervenir auprès de notre client ou cliente car c’est pas gentil ce qui fait le papa ou la maman, c’est pas gentil d’avoir oublié la casquette de Charly lorsqu’il est allé à la plage. A la lecture de ces injonctions, il est toujours difficile de trouver une réponse et de répondre tout simplement que ce n’est pas vraiment notre boulot la charge du linge sale, le cabinet n’est pas une laverie . Notre métier c’est avocat, pas maîtresse d’école qui rappelle au mauvais élève les règles. Mais il faut une réponse, car un silence peut provoquer une avalanche de rappels, le confrère souhaitant savoir si vous avez appelé votre client, si vous lui avez dit que ça ne se faisait pas de mettre la culotte de Louise à l’envers et de lui acheter une barrette « Reine des Neiges ». Alors, la seule réponse possible est sans doute « Je refuse le caractère officiel de votre lettre. » . Frustrer les « 3 dodos chez papa et deux chez maman », cela les aide à grandir. Généralement, cette réponse calme le confrère qui fait aussi parti des facturateurs qui alignent les notes d’honoraires dont la mission détaillée s’intitule « envoi d’une lettre officielle au Confrère».
-et enfin, il y a les confrères « exécuteurs 24h/24, 7J s/ 7 », leur passion demander l’exécution d’un jugement deux jours après en avoir eu connaissance, sans même attendre l’expiration du délai d’appel espérant que le Confrère entre dans la brèche, exécute et interjette appel, l’exécution valant acquiescement, l’affaire est dans le sac. Ces Confrères sont un peu fourbes, souvent ils n’ont pas été très loyaux durant la procédure et continuent leur déloyauté jusqu’à l’exécution. Généralement, quand aucun appel est interjeté, la réponse la moins fatigante est d’exécuter volontairement le jugement définitif ou si on interjette appel de communiquer la déclaration d’appel sans autre explication, encore une fois utiliser l’arme de la frustration.
Allez, je quitte ma boîte mail après avoir adressé un mail de rappel dans un dossier où la Consœur n’a toujours pas conclu, l’audience est tout de même le 18 octobre… et il faut que je facture après trois semaines de vacances.