Il m’est arrivé de plaider à de nombreuses reprises la relaxe pour des clients (la plupart du temps des hommes, les femmes se révoltent peu 🙂 ) qui comparaissaient pour rébellion devant le Tribunal Correctionnel.
Cette relaxe s’obtient difficilement, la parole des policiers est d’évangile, surtout ce sont des personnes assermentées dont on ne pourrait douter et pourtant…
L’infraction de rébellion est définie à l’article 433-6 du Code Pénal:
« Constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente, à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou de mandats de justice ».
Qu’est ce qu’une résistance violente ? Les policiers doivent-ils avoir été blessés à la suite de cette résistance ? Une personne arrêtée est-elle violente lorsqu’elle résiste passivement?
La jurisprudence est venue répondre à ces diverses questions:
– la résistance est violente même si aucun coup n’a été porté (arrêt de principe de 1884)
– la résistance passive n’est pas punissable, ainsi le refus de marcher, de se coucher à terre ou de se laisser traîner par les agents de l’autorité ne constitue pas une rébellion
– de même n’est pas constitutif d’une rébellion le fait pour un prévenu de faire de grands gestes pour empêcher le fonctionnaire de police de le palper mais sans le toucher (Tribunal Correctionnel de Paris 17 octobre 1990)
Attention, l’intention coupable existe indépendamment du mobile auquel a cédé l’auteur dès lors qu’il exerce des violences sachant qu’il agit contre des personnes qualifiées pour l’exécution des lois ou des ordres de l’autorité publique.
Mais qu’est ce qu’il en est lorsqu’une personne est arrêtée illégalement et arbitrairement, qu’elle ne comprend pas, gesticule pour ne pas être menottée, est-ce que l’infraction de rébellion est constituée ?
J’ai défendu un jeune homme qui a été arrêté d’une manière musclée par les policiers car il était soupçonné d’avoir dégradé un véhicule.
Il a été arrêté un peu plus loin que les lieux de l’infraction et au seul prétexte qu’il titubait et qu’il ressemblait à la description faite par un un témoin alors que le témoin n’a jamais décrit celui qui a dégradé la voiture.
Monsieur R comparaissait pour des faits de dégradations volontaires et de rébellion car lors de son arrestation il aurait résisté, se serait débattu.
Le Tribunal Correctionnel a relaxé Monsieur R des faits de dégradations mais l’a condamné pour la rébellion alors qu’il ressortait du dossier que cette arrestation était en soi illégale, les policiers l’avaient arrêté dans le cadre de la flagrance… Or, il n’y avait pas flagrance car les conditions n’était pas réunies, la personne arrêtée n’était pas poursuivie par la clameur publique, elle n’a pas été trouvée en possession d’objets, ou elle ne présentait pas des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au délit de dégradations volontaires. D’ailleurs, elle a été relaxée pour les dégradations…
L’arrestation de mon client a été extrêmement violente, trois policiers pour l’arrêter, pour le plaquer à terre et le menotter. Les trois policiers avaient tous des versions différentes des faits: pour l’un le suspect gigotait, pour l’autre il se débattait, pour l’autre encore, il se raidissait, pour un autre, il aurait craché…
Un seul des policiers a porté plainte et a sollicité une indemnisation de son préjudice. Il a obtenu gain de cause à hauteur de 250 euros.
Dans cette espèce se pose la question des circonstances de l’arrestation: une arrestation illégale autorise-t-elle à se rebeller ? Les policiers peuvent-ils légitimement invoquer une rébellion alors qu’ils n’ont pas respecté la loi et arrêté illégalement un jeune homme ne faisant que tituber ? Se raidir face à des policiers est-ce que cela constitue des violences ?
Mon client a interjeté appel de la condamnation pour rébellion, l’affaire a été plaidée ce mois ci devant la Chambre des appels correctionnels de Bordeaux…
Je vous tiendrai informés du résultat.
Image, Tribune de Genève
pfou
1 mai 2015 — 02:54
C’est incroyable qu’un des policiers ait porté plainte contre la personne, l’arrestation étant illégale. Et c’est encore plus étonnant à mon sens que le juge ait condamné cette personne.
Au sujet des jurisprudences, par quelle méthode les connaissez-vous ? J’imagine qu’elles sont nombreuses et qu’il en tombe fréquemment ; aussi, comment prendre connaissance de chacune d’elle dans sa spécialisation de droit ?
Michèle BAUER
1 mai 2015 — 11:08
le tribunal correctionnel juge de première instance a condamné j’attends l’arrêt de la cour d’appel qui devrait être rendu au mois de juin je crois … j’espère que la Cour prendra une autre décision. Pour les jurisprudences nous avons des outils de recherche, elles sont publiées dans des revues ou encore consultables sur des bases de données. Si vous feuilletez un code pénal vous verrez qu’en dessous de chaque article issu d’une loi il y a des décisions de justice et des références pour les trouver. Après il faut savoir les analyser les interpréter et pour cela nos études de droit nous servent aujourd’hui…
pfou
1 mai 2015 — 15:40
Merci pour ces informations.
pfou
1 mai 2015 — 03:27
Votre client pourrait-il porter plainte contre ce policier, voire les trois, pour « abus de pouvoir » ? Mes connaissances en juridique sont nulles, le terme « abus de pouvoir » n’est peut-être pas ici le terme consacré. Je pense à tout « usage non autorisé » de sa fonction de policier.
Michèle BAUER
1 mai 2015 — 11:17
cette infraction d’abus de pouvoir n’existe pas. Si les policiers avaient blessé mon client , s’il avait des blessures importantes il aurait pu saisir une commission qui sanctionne les violences policières il aurait dû démontrer que les violences étaient disproportionnées par rapport au but recherché. Le fait de l’arrêter illégalement ne constitue pas une infraction… il n’a pas fait de détention provisoire mais une simple garde à vue. En effet dans l’hypothèse d’une détention provisoire abusive : si vous avez été arrêté illégalement puis détenu illégalement car innocenté à la fin de l’instruction ou du procès vous pouvez demander une indemnisation à l’État. Il n’est pas prévu des indemnisations pour une garde à vue abusive car je pense que cela pourrait coûter cher à l’État et cela s’explique juridiquement la garde à vue n’est pas une condamnation la personne gardé à vue est soupçonnée, elle n’est pas condamnée …
pfou
1 mai 2015 — 15:38
Pourvu que la description de la personne par le témoin ait en effet eu lieu, l’arrestation aurait-elle alors eu lieu dans le cadre de la flagrance ? Il semblerait que cela puisse être le cas (http://fr.wikipedia.org/wiki/Enqu%C3%AAte_de_flagrance et http://www.juritravail.com/jurisprudence/JURITEXT000007068409.html).
Dans les faits qui se sont produits, il me semble que la personne arrêtée ne pouvait pas connaître, sur le moment, le caractère légal ou illégal de l’arrestation. La rébellion pour arrestation illégale serait alors une raison motivable a posteriori uniquement.
Ceci étant dit, que l’arrestation soit considérée après les faits comme légale ou illégale, j’ai le sentiment que toute personne soupçonnée se doit, malheureusement, d’accepter, dans un premier temps, l’état d’arrestation. (Malheureusement surtout dans le cas illégal.)
Michèle BAUER
1 mai 2015 — 15:43
en fait dans cette affaire les policiers dans le PV de synthèse ont indiqué que le témoin avait décrit la personne qui a effectué les dégradations mais dans le témoignage et l’audition du témoin rien aucune description d’où la relaxe pour l’infraction de dégradations…mon client n’aurait pas dû être arrêté il était juste saoul et proche du lieu de l’infraction
pfou
1 mai 2015 — 15:45
Je vois, merci pour les éclaircissements.