Les avocats du Barreau de Caen ont fait le « buzz » hier, ils ont lancé leurs robes aux pieds de la Ministre de la Justice avant son discours pour protester contre la réforme de leur retraite. Par ce geste fort, ils ont voulu que les médias s’intéressent enfin à notre profession.

Nous avons prêté un serment, celui d’exercer dans la dignité, l’humanité, la conscience, l’indépendance et la probité.

Ce serment, je l’ai prêté le 7 janvier 2003, en robe.

Je n’aurai jamais pensé qu’un jour des Consœurs et des Confrères jetteraient cette robe, cette protection, cette armure de la défense en pâture aux médias pour être vus, écoutés,à défaut d’être entendus.

Cette image des robes gisant sur le sol du Tribunal Judiciaire de Caen est violente, bien moins que ce qui attend les justiciables et les avocats si cette réforme des retraites est adoptée.

Pour la première fois depuis 17 ans, je suis inquiète pour mon avenir, celui de la profession et celui de la démocratie.

Cette réforme est mortifère, nos cotisations seront doublées, nous perdrons un tiers de nos revenus, notre retraite minimum passera d’un peu plus de 1400 euros à 1000 euros par mois.

Pour ne pas fermer la porte de nos cabinets, nous devrons augmenter nos honoraires ou plutôt nous essayerons de les augmenter car la concurrence est rude. La toile a démocratisé l’accès au droit et a paupérisé l’avocat. Les « tarifs » sont affichés et dans certains contentieux, ils sont indécents et dérisoires.

Pour survivre, il faudra aussi faire des choix difficiles. Pour des questions de rentabilité, nous devrons choisir d’abandonner les plus pauvres de nos clients, ceux qui sont déjà bien seuls. L’aide juridictionnelle sera de moins en moins acceptée. Les futurs justiciables seront très vite découragés. Après avoir essuyé une dizaine de refus, il laisseront tomber leur procédure ou s’ils sont défendeurs ne se défendront même pas.

Le Bâtonnier sera submergé de demandes de commissions d’office auxquelles il ne pourra pas faire face. Les jeunes Confrères abandonneront très vite la profession, ils n’en vivront pas. Ils devront s’installer sans avoir pu exercer en collaboration car les petits cabinets ne pourront plus se doter d’un collaborateur et les gros auront déjà fait le plein.

L’avocat, ciment de la démocratie ne sera plus.

Ma robe, ce sont mes parents qui me l’ont offerte.J’étais fière d’embrasser cette profession, de les défendre tous comme dit le slogan.

J’aime ce métier. Je croise des personnes que je n’aurais jamais croisées si j’avais choisi d’être juriste dans une entreprise

Je n’aurai jamais rencontré, cette proxénète qui par ces récits m’a plongé dans un autre monde, celui des bars à champagne. J’aurai tant voulu qu’elle soit relaxée mais les faits étaient contre elle, la peine a tout de même était allégée en appel.

Ce braqueur à l’enfance terrifiante qui a vu son père mourir sous les tirs des policiers. Il était malade, avait été transféré dans une maison d’arrêt loin de sa famille. J’avais obtenu un retour dans une maison d’arrêt plus proche. J’ai reçu une orchidée en guise de remerciements qui s’est éteinte lorsqu’il a décidé de changer d’avocat.

Cet étudiant étranger pour lequel je me suis battu pour obtenir sa carte de séjour, qui était soutenu par la faculté, les étudiants et les professeurs. A l’obtention de son titre, il m’a adressé une carte touchante pour me témoigner sa reconnaissance éternelle.

Ce salarié licencié pour inaptitude après une vingtaine d’années d’ancienneté qui aimait son métier de grutier. Une enquête minutieuse a été ordonnée par le conseil de prud’hommes sur les caractéristiques du poste pour déterminer si un reclassement était possible. Son licenciement a été considéré comme illégitime, il m’a confié avoir retrouvé sa dignité grâce à cette procédure.

Cette femme de 75 ans qui a divorcé car elle ne voulait pas passer les dernières années de sa vie avec son époux qu’elle qualifiait de rasoir. Elle a tout de même regretter que ce dernier ne se soit jamais présenté, jamais défendu. Cette procédure était comme une main tendue qui n’a pas été saisie par cet homme avec qui elle était mariée depuis 50 ans.

En lançant cette robe à terre, ma robe, les avocats ont signifié symboliquement que ce criminel, ce salarié, cet étudiant étranger, cette épouse ne seront plus défendus, soutenus, accompagnés dans les méandres de cette justice de plus en plus inhumaine.

La défense qui nous attend, qui vous attend, sera nue, fragile, frileuse et démunie.

 

-Le lancé de robes à Caen devant la Ministre de la Justice

-Le lancé de robes ce matin à Bordeaux au pied du Palais de Justice