Un salarié, Bernard, vient me consulter, je lui demande pour qui il travaille, il me montre son blouson sur lequel figure un nom est un slogan et ne prononce pas le nom de son ancien employeur qui l’a licencié après 32 ans d’ancienneté.
Les larmes aux yeux, il trie ses papiers qu’il a précieusement laissé dans les enveloppes recommandées en répétant que c’est sa fille qui lui a dit de tout garder, sa fille qui a fait des études qui est institutrice et qui l’aide pour les papiers parce que
« vous savez Maître, moi je sais à peine écrire, je n’ai pas été à l’école… ».
Je lui demande son contrat de travail:
« Mon contrat mais Maître ça fait 32 ans, je sais plus où je l’ai mis et je sais même pas si j’ai signé quelque chose »
« J’ai débuté comme ouvrier spécialisé, puis j’ai fini chef d’atelier, j’étais trop bien payé à la fin, je l’ai vu venir, la nouvelle direction elle n’aimait pas les vieux, y en a plusieurs qui ont été virés avant moi »
Il me tend une enveloppe:
« je crois que c’est ça que vous voulez voir, mon licenciement, j’ai rien eu, rien, je sais même pas combien j’aurais au chômage, je comprends rien j’ai plein de papiers à remplir, en plus sur internet, je ne comprends rien à internet, je vais demander à ma fille de m’aider »
Je lis la lettre de licenciement, un licenciement pour faute grave, il aurait été insultant à l’égard des autres ouvriers qui se seraient plaints auprès de l’employeur d’une souffrance au travail. L’employeur lui reproche de prendre des pauses cafés et cigarette trop longues et d’être arrivé en retard de 15 minutes ce qui aurait désorganisé la journée.
» Avez-vous reçu des avertissements avant cette lettre de licenciement, avez-vous été sanctionné par une mise à pied ? »
« Non Maître j’ai toujours bien travaillé, je me portais toujours volontaire pour remplacer mes collègues, j’ai toujours bien fait mon boulot, je pensais finir mes jours là bas »
» Vous le savez sans doute Monsieur, maintenant avec les barèmes « Macron » , l’indemnisation pour un licenciement « abusif » est limitée, plafonné, vous aurez droit dans votre cas à 3 mois de salaire brut au minimum et au maximum 20 mois en plus de votre indemnité de licenciement, préavis, indemnité de préavis, rappels de salaires… »
Cet ancien salarié me regarde fixement et tristement :
« 20 mois pour 32 ans de ma vie, il a le droit de tout faire, Je suis sûr qu’il se dit que je vais rien faire parce que je sais pas bien lire ni écrire. Je pensais que j’allais finir mes jours là bas, Maître, je ne suis plus rien, je n’ai plus que ce bleu de travail (il pince son blouson et me le montre) avec lequel je fais mon bricolage »
Je reçois beaucoup de Bernard depuis la mise en place des plafonnements des indemnités pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, des Bernard qui ont toujours bien travaillé, qui sont à une dizaine d’années de la retraite, qui coûtent un peu plus cher qu’un jeune Kevin ou Augustin.
Les employeurs de ces Bernard n’ont plus de scrupules, ils savent combien ça va leur coûter de les licencier, ces anciens salariés alors qu’ils n’ont aucune raison, aucun motif.
Ces plafonnements ont été annoncés comme un moyen de lutter contre le chômage et d’éviter les licenciements car les employeurs pouvaient savoir à combien ils allaient être condamnés devant le Conseil de Prud’hommes, quelle hypocrisie ! Ils permettent en réalité à certains employeurs de faire un comparatif entre ce que lui coûte un salarié ancien jusqu’à sa retraite et ce que lui coûtera un licenciement « bidon ».
Pour le cas de Bernard, le calcul a été rapide, il était plus intéressant et moins cher de licencier Bernard et le remplacer par un jeune payé au SMIC plutôt que de maintenir Bernard à son poste jusqu’à la retraite.
D’autres salariés sont victimes de ces plafonnements, les salariés qui ont peu d’ancienneté et qui ont droit à une faible d’indemnisation lorsqu’ils sont licenciés abusivement, ils se disent à quoi bon engager une procédure devant le conseil de prud’hommes pour 1 mois de salaires ! Certains employeurs peuvent engager des salariés avec une période d’essai prolongée sans être inquiétés financièrement puisque les salariés n’auront pas accès au juge ou du moins décideront de ne pas y accéder car le jeu n’en vaut pas la chandelle.
En tant qu’avocat, et pour ma part avocat militant, il est nécessaire de continuer à résister à ce plafonnement en développant dans toutes nos saisines l’argumentaire du Syndicat des Avocats de France que j’ai publié sur ce Blog: Résistons devant les Conseil de Prud’hommes contre le plafonnement des indemnités pour licenciement illégitime, afin que les salariés puissent être indemnisés à hauteur du préjudice qu’ils ont subis !